Prélude à une guerre by Iván Repila

Prélude à une guerre by Iván Repila

Auteur:Iván Repila [Repila, Ivan]
La langue: fra
Format: epub
Tags: 2019-02-11T15:26:07.819000-04:00 JF
Éditeur: Jacqueline Chambon
Publié: 2019-01-11T09:19:51+00:00


22

« Quelle merde tout ça », dit-elle à nouveau, sous leur toit. Cette phrase était devenue un clin d’œil entre eux deux, équivalant à « comment tu vas ? », de la même façon que « pourquoi tu ne dis rien ? » avait fini par se substituer à « bonjour ».

H avait appris les règles par mimétisme. Le chien dormait sur le canapé ; elle, dans une petite chambre, un petit lit d’enfant. Le Muet se levait tôt et préparait le petit-déjeuner et le repas de midi ; parfois elle mangeait, parfois non. Après le petit-déjeuner, il sortait marcher, généralement dans un quartier bien particulier, il s’asseyait sur un banc, puis, tout doucement, il reprenait sa marche ; parfois elle l’accompagnait, parfois non. Tout au long de la journée, il explorait la ville, et à l’heure de manger il mangeait. L’après-midi ou le soir, en fonction de certains paramètres qu’elle mit du temps à comprendre, il retournait au banc. Ensuite il rentrait à la maison pour dîner ; si elle était là, ils dînaient ensemble. Une heure de digestion plus tard, le Muet allait se coucher. Il ne parlait jamais.

Au bout d’un moment il lui donna un double des clés, qu’elle s’attacha autour du cou pour ne pas les perdre. Elle avait compris qu’elle ne devait pas fumer dans l’appartement, et jamais elle ne le fit. Elle avait aussi compris qu’elle ne devait pas ramener d’amis ni d’amants, et elle ne le fit pas non plus. Il n’y avait pas d’autres règles à part celles de la cohabitation tranquille, qui lui convenaient car c’était le seul espace de modération qu’elle connaissait. Dehors, dans les rues, elle était poussée par d’autres forces et d’autres envies : celles de baiser ou de crier, par exemple. Elle ne fut pas longue à comprendre que le Muet ne la toucherait jamais, ne lui ferait aucun reproche, ne l’accuserait de rien ; alors, dans cet espace qui ne lui appartenait pas, elle se permit d’être vulnérable, ce qu’elle aurait refusé en dehors de ces murs minces, ce qu’elle n’aurait voulu montrer à aucun prix, car les faibles, d’après son expérience, sont les premiers à s’agenouiller.

Dans cet appartement, il n’y avait ni télévision, ni ordinateur, ni téléphone. Il n’y avait pas non plus de cadres ni de photos. C’était un endroit aussi muet que lui, excepté pour les livres. Parfois H lisait tard le soir, mais ce n’était pas le genre de personne à y prendre du plaisir, elle s’ennuyait. C’est pourquoi elle sortait souvent vivre sa vie, ou s’attirer des problèmes. Un matin, elle débarqua avec les yeux tuméfiés et le nez cassé, presque incapable de marcher. Il se réveilla et la soigna comme il put, car elle refusait d’aller à l’hôpital. Il s’occupa d’elle trois jours durant, sans rien dire, sans rechigner, sans regard désapprobateur. À partir de ce jour, quand elle s’apprêtait à sortir, elle lui disait toujours où il pourrait la trouver.

Parfois, c’est vrai, H les voyait de loin, lui et



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